Psst ! Demande-moi ce qui s'est passé à Actium en -31 avant J.-C.
Que s'est-il passé à Actium en -31 avant J.-C. ?
Très bonne question ! Je suis sûr que je vous l'ai suggérée. Tout d'abord, avant de dire ce qui s'y est passé, commençons par dire où se trouve Actium !
La réponse est : en Grèce, dans le golfe d'Abracie, au nord de l'Acarnie.
Plus précisément:
C'est bien beau tout ça, mais pourquoi ça nous intéresse ?
Du moment que ça m'intéresse, moi ! Vous n'avez qu'à suivre le cours. Sachez qu'ici s'est déroulé une grande bataille. Mais pas avec des Grecs ! Non, entre romains. Une guerre civile entre Octavien (futur Auguste), qui dirige alors la partie occidentale du monde romain, et Marc-Antoine qui, lui, en dirige la partie orientale. Je vous le dis tout de suite, inutile de faire durer le suspense : c'est Octavien qui a gagné.
Le cours est fini ? On peut aller manger ?
Non ! Tout ceci mérite éclaircissements... Vous ne savez même pas qui sont Antoine et Octavien, ni la raison pour laquelle ils étaient en Grèce et encore moins la raison pour laquelle ils voulaient se taper dessus !
Lumière ! Revenons treize ans en arrière. En 44 (toutes les dates que je vais donner sont avant ce bon J.-C.), rappelez-vous qu'une conjuration de soixante sénateurs, dont M.Brutus et Cassius, et avec l'approbation sans participation de Cicéron, a tué le dictateur de vingt-trois coups de couteau alors qu'il entrait dans la curie de Pompée.
Nous connaissons tous selon Suétone les derniers mots qu'il aurait prononcés alors que Brutus, qui passait pour être son fils, portait le dernier coup : "Toi aussi, mon fils ". (Très Shakespearien, et d'ailleurs...)
Marc-Antoine
Le problème est qu'on avait épargné Marc-Antoine, ami de César et consul (1) en cette année 44, à la demande de Brutus. Les conjurés avaient peu de suite dans les idées et n'avaient pas prévu autre chose que le césaricide. Des claques, moi je dis !
Tuer le tyran n'y a rien fait : la tyrannie reste. Marc-Antoine a d'ailleurs vite fait de reprendre les choses en main. Tout d'abord grâce à une foule très hostile aux assassins, ensuite grâce au maître de cavalerie de César, Lépide, qui a fait occuper le champ de Mars par ses troupes . Dans ces conditions, les conjurés furent obligés de traiter. Il fut convenu que ceux-ci seraient amnistiés et que César aurait droit à des funérailles et à la validation de son testament, choses qui n'enchantèrent guère Cassius et Cicéron. (Jamais contents)
Les funérailles de César furent pour Marc-Antoine l'occasion de gagner complètement le peuple à sa cause grâce à une mise en scène habile et un discours qui rendit la plèbe romaine complètement hystérique. Un gros bordel. Dans le tumulte généré, on tua par erreur un Caius Helvius Cinna, tribun (2) qui n'avait rien à faire avec les conjurés, parce qu'un boulet avait crié "C'est Cinna !" et que la foule avait alors cru tenir Lucius Cornelius Cinna, gendre de César, et vrai tyrannicide celui-là.
D'accord pour Antoine, mais cet Octavien, il sort d'où ?
Octavien (Octave à l'époque), séjournant en Apollonie au moment du meurtre, était le petit-neveu de César qui, sans descendance directe, en avait fait son héritier.
Apprenant les termes du testament de César, il accepta l'héritage et par conséquent l'adoption. Il vint à Rome réclamer son dû auprès d'Antoine qui, considérant la jeunesse du petit Octave, ne voulut rien lui donner. Un trop grand fardeau et de trop grandes responsabilités pour un si petit bonhomme (19 ans quand même). Et toc !
Qu'à cela ne tienne, si le fils de César ne pouvait obtenir son dû et s'en servir politiquement pour s'attirer les faveurs du peuple et des vétérans, celui-ci deviendrait tribun (N'oublions pas qu'une place était restée vacante après la disparition de ce pauvre Cinna) et ferait son jeu politique ainsi ! Mais Antoine, qui je le rappelle était toujours consul, refusa sa candidature pour les mêmes raisons. Quel trouble-fête !
Le consul a même prétendu qu'Octave avait tenté de le tuer. Il faut dire que le jeune homme était un peu en pétard, Antoine ne voulait même pas légaliser l'adoption.
Ajoutons à ça que Cicéron, très pompéien sur les bords, lançait de véritables pamphlets contre Antoine au sénat : les philippiques. Bref, le consul n'était plus très à l'aise à Rome.
Octave
Octave ne resta pas inactif, et partit recruter des troupes parmi les vétérans installés par César. Et, vous le comprenez, tout cela dégénéra très vite.
Et là Octave va partir en Grèce faire la guerre à Antoine !
Non, vous n'avez rien compris ! Suivez un peu, on n'est même pas encore en 43 ! Vous avez treize ans d'avance sur les évènements !
Tout cela va en fait conduire à la guerre de Modène.
Décimus Brutus (3), un des assassins de César, était retourné dans sa province en Gaule Cisalpine, pour lever des troupes. En vue de la situation, Le sénat ordonna à D. Brutus de donner sa province à Antoine. Il fit mine d'accepter, puis non, hop, il se réfugia à Modène et fit savoir au sénat qu'il ne voulait pas rendre sa province. Sous la conduite de Cicéron, le sénat changea d'avis et il fut décidé que les gouverneurs seraient maintenus en place. Mais Antoine, lui, n'avait pas changé d'avis et voulait toujours aller casser la figure à D. Brutus ! En 43, Pansa et Hirtius devinrent consuls. Ils eurent pour charge les opérations militaires contre Antoine. Octave, opportuniste, s'était joint à eux avec son armée avec l'accord du sénat.
On ne va pas faire dans le détail : Antoine fut facilement battu et obligé de fuir. Hirtius et Pansa étaient morts pendant les opérations (on soupçonna même Octave d'y être pour quelque chose : Quel opportuniste ! Toute la gloire pour lui tout seul !), et, contre les attentes d'Octave, ce fut à Decimus Brutus qu'on accorda le triomphe !
Pire que tout, Marcus Brutus et Cassius se virent confirmés dans les commandements de la Macédoine et de la Syrie qu'ils avaient conquises entre temps à peu de frais.
La république était en train de renaître et les Pompéiens césaricides reprenaient la main sur le pouvoir. Pas tant que ça en réalité ! Antoine avait en partie rétabli la situation. Octave, consul, refusait d'obéir à Decimus Brutus, et les troupes de Hirtius et Pansa refusaient eux aussi de lui obéir. Antoine avait rejoint Lépide, un césarien je le rappelle, gouverneur de la province narbonnaise (le sud-est de la gaule en gros), et qui possédait une très grosse armée. Il n'eut pas même l'occasion de décider quel camp il allait prendre ; une partie de ses troupes s'était joint à celles d'Antoine. Bref, ce fut une débâcle pour D. Brutus qui se sauva comme il put, pas bien loin en réalité parce qu'il se fit couper la tête par des séquanes rencontrés en chemin et qui firent cadeau de ce bout de Brutus à Antoine. Sympa, non ?
À rome, on déclara Lépide ennemi public.
Octave, toujours opportuniste, voyant qu'il n'y avait aucun consul, voulut se faire élire par le sénat. En vain, mais ce n'était pas très grave, car il marcha avec son armée sur Rome quelques jours plus tard et il devint bel et bien consul. Il obtint finalement la légalisation de son adoption par le sénat (à qui l'on a un peu forcé la main...) et devint ainsi un César comme son papa.
Grâce à Lépide, Antoine et Octavien se rencontrèrent et décidèrent de mettre main basse sur tous les pouvoirs. Le second triumvirat (4) entre Octavien, Antoine et Lépide était formé pour cinq ans.
Bon, et Actium dans tout ça ?
Oh, hé, ne brusque pas les choses ! Je ne vais pas tout raconter d'un coup ! La suite dans un prochain cours...
J'aurais assez de place sur cette feuille pour finir le chapitre ?
Hum... Non.
Notes:
1)Deux consuls sont élus chaque année et peuvent par la suite siéger parmi les sénateurs. Ils sont élus par les comices centuriates (je vous expliquerai ce que c'est une autre fois).
2) Les tribuns de la plèbe sont les magistrats représentants du peuple, élus au nombre de deux par ans. C'est la première magistrature du cursus honorum (carrière des honneurs) et il faut avoir 27 ans pour y accéder.
3) Ne surtout pas confondre avec Marcus Brutus, celui cité plus haut et que César considérait comme son fils,et qui était en Macédoine en 43.
4) Le premier réunissait secrètement César, Pompée et Crassus et avait pour objectif politique d'aider leurs carrières respectives.